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    Eclairage sur l'avenir du tourisme par Julia Luczak Rougeaux

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    Julia Luczak Rougeaux est journaliste et rédactrice en chef chez Tom Travel. Elle nous livre sa vision du tourisme d'aujourd'hui et de demain.

    5 choses à savoir sur Julia Luczak Rougeaux

    Le besoin de voyage, élément intemporel

    « On voyagera demain comme on voyage aujourd’hui »

    Il existera toujours cette envie de découverte de l'autre, de la culture de la gastronomie, de sortir du quotidien, de s'émerveiller et de voir de nouvelles choses. L’essence du voyage sera toujours présente.

    Cohabiteront aussi deux profils : les voyageurs et les touristes. Les touristes qui font des destinations, qui ne les visitent pas mais qui sont dans l’accumulation « j'ai fait l'Espagne… », comme une sorte de liste qu'on chercherait à remplir, comme une sorte de but sur Instagram afin d'avoir plus de photos, plus de destinations, …. Pour elle, ce phénomène restera dans le futur. Il va même s’amplifier. Il y aura toujours de longues files d’attente devant un site parce qu’il faut prendre la photo.

    A l’inverse, nous avons les voyageurs, les baroudeurs qui, eux, voudront vraiment être déconnectés, vraiment être au contact de la population locale, vraiment faire des choses proches de la culture locale.

    C'est vrai que pendant la crise sanitaire, on a beaucoup parlé du monde d'après, beaucoup d'articles ont été écrits sur ce sujet. Beaucoup d'acteurs du tourisme se sont réjouis de ce moment de pause, de réflexion pour réinventer nos pratiques touristiques.

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    « Force est de constater que le monde d'après ressemble beaucoup au monde d'avant en réalité. »

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    On a vite repris nos bonnes habitudes, que ce soit du côté entreprises ou côté touristes.

    Des prises de conscience apparaissent mais aujourd'hui les pratiques touristiques sont quasiment les mêmes qu'avant la crise sanitaire. En début d'année, un rapport de la Cour des comptes est sorti et pointait que le secteur du tourisme ne s’est finalement pas suffisamment transformé. Ce rapport est basé sur une enquête de verbatim d'entreprises du tourisme au regard des aides que l'État avait fourni à ces entreprises. Ils se sont rendu compte qu'il y avait eu une intention, mais que concrètement, que ce soit du côté numérique ou durable, les entreprises n'avaient rien fait de concret.

    Une vraie prise de conscience écologique

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    On constate une vraie prise de conscience écologique des acteurs. On n'a jamais autant parlé d'initiative, de volonté, de stratégie de la part des acteurs du tourisme, d'aller dans ce sens-là, en tous cas de proposer une offre. L'offre s'est structurée ces dernières années. Il existe aussi une intention de la part des voyageurs avec une prise de conscience, la honte de prendre l'avion… On a vu émerger ces dernières années des choses de ce type.

    On voit aussi du côté du gouvernement qui vient de faire passer la mesure de suppression des vols intérieurs de courte durée si une alternative ferroviaire de moins de 2h30 est possible et la confirmation de la mesure par le Conseil Européen.

    Beaucoup considèrent que ce n'est pas suffisant. Mais, les choses commencent à bouger.

    Se sont développés aussi beaucoup d'outils de gestion des flux qui voient le jour dans des destinations ou des mises en place de quotas ou de calcul de l'empreinte carbone. C’est assez nouveau. Cela n'existait pas il y a 3 ans. Les entreprises du tourisme se mettent à lancer leurs outils. Dans le voyage d'affaires aussi cela bouge. Des entreprises comme Amadeus, The Treep, commencent à mettre en place des outils qui remettent en cause le voyage d'affaires. Par exemple, pour un contrat donné avec un prospect ou avec un partenaire, on se pose même la question de la nécessité du rendez-vous d’affaires que l’on pourrait remplacer par une visioconférence. Même les acteurs du voyage d'affaires remettent en cause leur modèle. C’est très nouveau et c'est quand même assez fort. C'est une vraie transformation.

    « Ne peut-on pas voyager autrement. »

    Pendant la crise sanitaire, nous avons beaucoup parlé du tourisme de proximité.

    « Ne faudrait-il pas privilégier un voyage en France ou découvrir sa propre ville autrement plutôt que d'aller à l’autre bout du monde ?»

    Les transformations se font aussi du côté de l'influence. Bruno Maltor, l’influenceur voyage le plus connu, a totalement changé sa manière de promouvoir les destinations. Il met en avant la France et prouve qu’un dépaysement en France est possible.

    Il prône l’évasion, le dépaysement à proximité. Il prouve que nous n’avons pas besoin de faire 12h d’avion pour découvrir des paysages magnifiques. Les offres en termes de train de nuit comme Midnight Train qui avaient disparu, reviennent en force. C'est une expérience qui a l'air vraiment agréable.

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    « Une nouvelle perception du voyage apparaît. Beaucoup de voyages commencent finalement dans les transports et commencent à la minute où l’on monte dans un train. Le transport devient un moment du voyage. »

    Il y a une prise de conscience écologique de la part des acteurs qui se rendent compte que nous ne pouvons plus continuer ainsi.

    Mais il existe quand même un gap entre ce que disent les voyageurs, ce qu'ils aimeraient faire en termes de voyage durable et dans les faits, comment ils se comportent, comment ils réservent…. Milena Nikolova, spécialisée dans les sciences comportementales appliquées au tourisme, relève d’ailleurs une vraie dissonance cognitive de ce côté-là. Tout le monde dit qu’il a envie de prendre un logement éco-responsable, de modifier ses pratiques, de se nourrir en fonction des saisons, … Mais dans les comportements concrets de vacances, ce n’est pas le cas. Il y a une vraie dichotomie, que l’on appelle en marketing le Green gap qui finalement persiste.

    Finalement, c'est compliqué pour les acteurs du tourisme parce que les comportements ne suivent pas les dires.

    Selon cette spécialiste comportementale, Milena Nikolova, il faut arrêter de penser que les touristes vont choisir une option plus durable parce que ce serait plus utopique, plus éthique parce que ce serait plus moral. Les gens choisissent une offre parce qu'elle coûte moins cher, parce qu'elle correspond à une date, une localisation, …

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    « C'est très utopique de penser que les touristes choisissent leurs voyages parce que c’est bon pour la planète. Mais, il faut tout de même changer les pratiques en prouvant par l’expérience qu’un tourisme plus durable est possible. »

    « C'est à l'offre, aux acteurs de transformer le tourisme. »

    Il y a eu beaucoup de greenwashing de la part de certains acteurs. Aujourd'hui, il existe beaucoup d'effets d'annonce.

    Finalement, ce sont les attentes qui poussent quand même l'offre, mais l'offre aujourd'hui ne suit pas tout à fait la demande.

    Selon une étude de Google, en Amérique du Nord, au niveau des recherches, de nombreuses personnes faisaient des recherches sur des hôtels écoresponsables …. Les internautes regardent, recherchent mais dans les réservations ce ne sera pas cette offre-là qu’ils vont réserver.

    Ce qui a été créé après la crise sanitaire et le contexte géopolitique que l’on connaît, c'est un besoin de sécurité, de réassurance. Les gens veulent être rassurés. Cela passe soit par un besoin d’information, ou par le besoin de flexibilité. Les voyageurs veulent des offres flexibles. Ces besoins resteront.

    Les grandes transformations à venir

    Avec la crise sanitaire, pour répondre à la problématique du tourisme de masse, le sur-tourisme, beaucoup d'outils se sont développés par exemple pour réserver à l'avance l'accès à des sites naturels. On peut citer Les Calanques de Marseille, certains sites en Corse, .. Les sites touristiques se sont mis à proposer cette réservation gratuitement ou pas. Cette tendance gagne le monde des musées aussi maintenant.

    Finalement aujourd'hui, quand on voyage, il devient de plus en plus difficile d'improviser.

    « Dans les 10, 20 prochaines années, finalement, est-ce que la sérendipité va encore exister. On sait que l’improvisation fait partie du voyage. Finalement cela ne risque-t-il pas de disparaître puisqu'on sera obligé de tout réserver à l'avance ? »

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    On peut aussi penser qu’une « super » application mobile va s'imposer pour tout planifier, tout réserver à l'avance. Une sorte de carnet voyage virtuel et pratique qui permettrait à chaque fois d'avoir toutes les infos et de réserver pour le lendemain,…

    Google à travers Google Travel qui centralise toutes les infos va chercher dans vos mails vos réservations, …Est-ce que c’est un acteur du tourisme qui créera cette application ?

    Le yield management des sites touristiques pourrait aussi s’imposer à de nombreux sites. Aujourd'hui, beaucoup de musées, de parcs d'attraction l'utilisent. Ils modifient leurs prix en fonction de l'affluence pour inciter les gens à venir sur des périodes creuses.

    Les technologies qui risquent de s’imposer

    On parle de l'intelligence artificielle depuis 10 ans et l’on vient seulement d’arriver à avoir des applications concrètes. Il y a 10 ans, on disait que ça allait tout transformer. Mais dans la réalité, ça n’a pas été le cas.

    Le tourisme ne se fera pas dans le Métavers, ce ne sera pas un tourisme complétement virtuel parce que les gens ont besoin d’aller découvrir l’ailleurs. Le tourisme ne sera pas remplacé par des casques de réalité virtuelle. En revanche, un tourisme augmenté émergera peut-être. Pas mal d’outils voient le jour avec cette technologie en venant enrichir la visite d’une ville dans laquelle on peut, par exemple, découvrir avec un guide virtuel, l’histoire des transformations d’un monument.

    « Ces nouvelles technologies viendront augmenter le voyage sans le dénaturer, ni le remplacer. »

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    Par exemple à Barcelone, Epson a développé des lunettes virtuelles pour les visites guidées de la ville.

    La demande à la maison de réalité virtuelle ne s’est pas développée. Mais pour l’inspiration, sur certains sites, cela se développe. On pourrait rajouter le côté haptique avec le toucher, les odeurs, le vent, …

    Peut-être que dans 100 ans, cela va se développer mais dans un futur proche, 2030 par exemple, cela reste anecdotique.

    « L’enjeu numéro pour le tourisme de demain est vraiment le tourisme durable. Comment changer les comportements des voyageurs, comment faire évoluer l’offre touristique ? »


    Interview réalisée en juin 2023 par Séverine PORTET pour la démarche Tendances & Prospective

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