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    Eclairage sur l’avenir du tourisme par Saskia Cousin

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    Saskia Cousin, professeure de sociologie à l’Université Paris Nanterre, au laboratoire Sophiapol, nous éclaire sur sa vision du tourisme d'aujourd'hui et de demain.

    5 choses à savoir sur Saskia Cousin

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    L’espèce humaine voyage pour se nourrir…

    L’histoire du voyage s’inscrit dans l’histoire de l’humanité. Voyager peut prendre plusieurs formes :

    • le nomadisme : des circulations au sein de territoires parfois très vastes, sur lesquels on revient, par exemple par saison.
    • l’aventure : la quête d’un ailleurs ou d’expériences. C’est la propension humaine à « aller voir si l’herbe est plus verte de l’autre côté de la colline ».
    • la migration : le départ de son territoire vers un autre.

    La proportion de personnes qui voyagent uniquement pour leurs loisirs est infime au regard des circulations humaines. En revanche, le désir d’aventure fait partie du genre humain, et il est puissant chez tous les jeunes gens : partir, c’est grandir et se réaliser. Cela est valorisé dans la plupart des sociétés humaines, notamment concernant les garçons. Pourtant la plupart de ces désirs et de ces voyages sont invisibles ou réprimés car l’origine géographique et/ou sociale ne correspond pas à la figure type du voyageur de loisirs, et les modalités de transports ne rentrent pas dans les catégories et les statistiques instituées par l’industrie du tourisme. Nous ne voyons que ce que nous savons compter et c’est très problématique. Mon travail consiste justement à observer ces pratiques et désirs de voyage, de vacances, d’aventure qui ne rentrent pas dans les cases. …

    Les enjeux majeurs pour le tourisme de demain : changer les indicateurs du tourisme

    L’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) produit des indicateurs qui traduisent les objectifs commerciaux de l’industrie touristique. Cela participe à imposer un imaginaire du voyage réduit à l’usage de l’avion et de l’hébergement marchand.

    « Il faut réfléchir à d’autres indicateurs que la comptabilisation des nuitées, des entrées de musées, …pour pouvoir influer sur les imaginaires. Il faut arrêter de travailler sur les seuls indicateurs de l’industrie touristique marchande. »

    Saskia Cousin

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    Les territoires peuvent jouer un rôle important dans l’élaboration d’indicateurs qui nous renseignent sur les pratiques. Le défi est de parvenir à des indicateurs harmonisés.

    La frontière : élément central du voyage de demain

    Il y a plusieurs avenirs, plusieurs demains, plusieurs scénarios possibles qui dépendent de nombreux enjeux, qu’ils soient politiques, pandémiques, climatiques, …

    La question des accès aux frontières est primordiale. La géopolitique mondiale est aujourd‘hui au cœur des préoccupations. La fermeture des frontières aura un impact sur l’avenir de l’économie touristique mondiale. La force du visa est aussi un point central. Certaines parties de la population mondiale peuvent accéder au voyage et d’autres non. Les moyens financiers sont une condition pour voyager. Cependant le visa est aussi nécessaire et dépend des rapports de forces politiques…

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    Accélération et rétrécissement du rapport à l’espace et au temps

    Depuis 50 ans, on constate une accélération et un rétrécissement du rapport à l’espace dans le temps libre et plus précisément pour ceux qui partent en vacances. En effet, au lieu de partir dans un temps long et moins souvent, la plupart des occidentaux partent de plus en plus souvent, de plus en plus loin, pour des temps de plus en plus courts. C’est un vrai problème écologique.

    « Le rapport à la distance a été modifié : ce n’est plus le nombre de kilomètres mais le nombre d’heures d’avion et son prix. Nous n’avons plus en tête la distance parcourue mais le coût du billet. »

    Saskia Cousin

    Le temps de transport est biaisé : on partira plus facilement dans une destination qui est à 3 heures d’avion que dans une destination qui est à 5 heures de voiture. L’industrie du tourisme participe d’une transformation anthropologique majeure.

    « On a modifié le rapport à l’espace et au temps. La pandémie risque de rebasculer ce phénomène. »

    Saskia Cousin

    La question de la distance et des frontières s’est reposée de façon brutale avec la pandémie alors qu’elle avait été évacuée car le monde du tourisme était organisé par l’offre de transport. Dans nos sociétés occidentales post-modernes et avant la pandémie, une partie de la population qui voyageait le plus, n’avait pas le temps mais avait les moyens de se déplacer dans l’espace. Dans d’autres sociétés, la problématique est inversée. Avec la pandémie, les occidentaux sont revenus dans un système où le rapport à l’espace est plus compliqué : on redécouvre la proximité et une autre forme de rapport aux temps.

    « Plusieurs avenirs s’offrent à nous : est ce que l’on revient comme avant ou est-ce que la crise permet de réouvrir les avenirs possibles ? Alors que notre système met le monde en péril, veut-on continuer à voyager le plus loin possible dans des temps les plus courts possibles ? »

    Saskia Cousin

    C’est un choix politique. Faut-il encore travailler sur la construction d’indicateurs basés uniquement sur le quantitatif, orienter nos regards sur les seules clientèles lointaines en ne s’intéressant pas aux locaux ou aux clientèles de proximité, se focaliser uniquement sur l’hébergement marchand alors que plus de la moitié des séjours se fait dans le non-marchand ... ? Pour Saskia Cousin, il faut faire attention à ne pas rester dans une logique de flux. La prise de conscience de ne pas tout miser sur le tourisme international, de luxe et 5 étoiles est en marche. Ce sont souvent les visiteurs qui viennent de moins loin qui iront dans des lieux les moins fréquentés et inversement les clientèles lointaines iront dans les hubspot touristiques. Ceci pose la question des flux.

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    L’Occident a pris conscience de sa vulnérabilité.

    Le complexe d’invulnérabilité des occidentaux est tombé brutalement avec la crise sanitaire. La prise de conscience a été brutale… La crise nous permet aussi de penser de façon plus positive, en nous donnant les moyens de se reconnecter au monde de manière différente.

    Les occidentaux se sont crus sur une ile protégée, d’où ils pouvaient à leur guise partir observer le reste du monde, sans conséquence pour eux…Avec la pandémie, chacun a pris conscience que tous les humains sont liés. Les effets de l’industrialisation, de la déforestation massive, … ont des effets qui seront de plus en plus fréquents. La crise sanitaire est la première alerte.

    La pandémie a montré que l’on était autocentré et l’on s’est fait rattraper par quelque chose de transnational. Une question se pose. Est-ce que collectivement nous voulons oublier cette crise et reprendre la vie d’avant ou s’interroger sur comment changer pour demain ?

    « La prise de conscience de l’importance et de l’universalité de la pandémie est ce qui va rester de cette crise. »

    Saskia Cousin

    Le désir de responsabilité écologique des jeunes générations et l’accès à des modes de transports et de consommations touristiques plus durables doivent pouvoir correspondre aux moyens économiques alloués. Les nouvelles générations vont peut-être modifier les choses mais les décisions politiques sont essentielles.

    Interroger l’imaginaire de la collection et valoriser la proximité

    Dans les imaginaires collectifs construits depuis les années 50, le voyage c’est l’avion. Les nouvelles générations ont pris conscience de l’importance de modifier les comportements touristiques nuisibles pour la planète. Néanmoins, il y a toujours un décalage entre les discours et les pratiques. Les politiques peuvent inverser la valeur qui est donnée.

    « On porte collectivement la responsabilité en tant que voyageurs mais c’est d’abord un choix politique. Il ne peut pas y avoir de changement s’il n’y a pas de décisions politiques prises pour influer sur les imaginaires collectifs. Ce transfert dépend de l’action politique afin que les voyages de proximité dans des temps longs soient davantage valorisés que la collection de courts séjours lointains. »

    Saskia Cousin

    Pour le moment c’est l’inverse : plus le niveau de revenu augmente, plus le signe distinctif consiste à partir plus souvent sur des plus courts séjours et plus loin. C’est l’imaginaire du collectionneur …on collectionne les pays, les destinations… Cet imaginaire est mortifère.

    « Avant la pandémie, plus vous partiez loin, plus c’était valorisant. Après la pandémie s’opère une revalorisation de la proximité. »

    Saskia Cousin

    Il ne s’agit pas de remettre en cause le voyage international mais de le responsabiliser. Pourquoi ne pas imaginer de vendre des voyages pour des longues durées en indexant le prix du billet au temps passé sur place par exemple ?

    Changer d’imaginaire collectif ne se décrète pas, ceci s’inscrit dans une temporalité longue.

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    Un rapport au temps et à l’espace modifié

    Ceux qui avaient les moyens ont redécouvert la campagne, … des lieux moins fréquentés. Jusqu’à la Révolution industrielle, la frontière entre le temps de travail et de loisirs étaient poreux. Ensuite, les temps et les espaces de temps libres et les temps travaillés se sont dissociés.

    Avec le télétravail généré par la pandémie, on “recolle” les moments de loisirs et les moments de travail pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur, pour ceux qui disposaient d’espaces et qui ont pu s’enfuir des grandes villes, les plus aisés. Le pire, pour les autres. Toutefois, les imaginaires collectifs socialement valorisés sont souvent initiés par les élites, même si cela passe en grande partie par l’appropriation des pratiques populaires. Ainsi pendant la pandémie, les élites ont « découvert » les modes de vacances et de loisirs des classes populaires. Cette redécouverte porte sur le plaisir d’être dans un endroit, de se retrouver entre amis, en famille de « se poser ».

    Par ailleurs, certaines destinations sont en train de prendre en compte cette transformation en se positionnant comme destination de télétravail. Alors que les régions françaises situées à quelques heures de Paris ont depuis longtemps des politiques de communication visant à attirer des travailleurs qualifiés pour qu’ils s’installent chez elles, le télétravail les met en concurrence avec des destinations bien plus lointaines. Il est clair que pour certaines catégories sociales, le télétravail accélère l’imbrication des lieux de travail et des lieux de loisirs, de vie familiale, etc.

    « La pandémie a modifié le rapport au temps et à la distance et le rapport au travail et non-travail. »

    Saskia Cousin

    La redécouverte ou réappropriation d’un espace à soi a été importante d’ailleurs. On l’a vu avec le boom d’achat de résidences secondaires. Cette évolution est un enjeu majeur notamment pour la France.

    « La transformation des vacances est toujours liée à la transformation du travail. »

    Saskia Cousin

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    Les plateformes d’intermédiations, frontières à la relation sociale

    La question de l’intermédiation par les plateformes de réservation est primordiale. Ces plateformes empêchent la relation sociale. Elles ont pris le pouvoir sur les réseaux qui existaient auparavant.

    « C’est un paradoxe : ces plateformes, espaces digitaux qui nous permettent d’accéder à tout sont aussi des espaces de frontière, dans lesquelles il faut payer pour accéder à l’autre. »

    Saskia Cousin

    Aujourd’hui l’enjeu politique, social, économique est de permettre aux hôtes, aux territoires, aux voyageurs de se réapproprier la relation. Plusieurs plateformes collaboratives ou coopératives militent pour une désintermédiation du digital. Elles mettent par exemple en relation hôtes et touristes, moyennant un abonnement, sans prendre le pouvoir sur les hôtes comme cela a été le cas de booking ou Airbnb. L’enjeu est de permettre aux personnes de revenir à des relations et des négociations de gré-à-gré, et non pas à des accès et des tarifs décidés par des algorythmes. C’est le cas de la plateforme "Les oiseaux de Passage".

    « C’est une question politique : doit-on continuer avec Booking qui tient les clés des chambres ou travailler avec des plateformes de destination qui laissent la place à la relation sociale. »

    Saskia Cousin

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    Signaux faibles : la revalorisation des vacances populaires

    Une forme de revalorisation des pratiques, assignées auparavant aux vacances populaires et largement dévalorisées, comme se poser dans un camping trois semaines et faire des barbecues avec ses voisins, est en train de ressurgir. La rupture loisirs / vacances est politique, institutionnelle, culturelle, elle ne reflète pas les pratiques des classes populaires.

    Les vacances populaires se caractérisent par un départ à proximité, un retour fréquent dans les mêmes lieux de vacances, des pratiques centrées sur les retrouvailles et le temps passé entre soir. C’est l’inverse du syndrome du collectionneur – d’expos, de pays, de miles, etc ;.
    Les personnes les plus aisées, les porteurs de tendances, redécouvrent aujourd’hui ces pratiques populaires. On peut espérer que cela amènera des transformations des pratiques élitistes mortifères pour l’environnement. Le risque est que les lieux de vacances populaires soient confisqués par des catégories sociales plus aisées, avec des hausses conséquences des tarifs. On l’a vu avec la montée en gamme des campings.

    « Cela réinterroge la porosité entre l’économie du loisirs et l’économie touristique qui a toujours été scindée.

    On voit des signaux qui disent qu’il y a d’autres manières de voyager que de partir à l’autre bout du monde. »

    Saskia Cousin


    Interview de Saskia COUSIN par Séverine PORTET

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