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    Eclairage sur l'avenir du tourisme par Jean-Michel Blanc

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    Jean-Michel Blanc est un expert du tourisme. Il a aujourd’hui la charge de la prospective chez un acteur majeur des activités sociales et notamment du tourisme en France. Il est enseignant à l’IREST, vice-président d’AIDA IREST et membre du Conseil d’Administration d’Acteurs du Tourisme Durable.

    Il participe également aux travaux de Futuribles international.https://www.futuribles.com/le-tourisme-post-covid-19-perspectives-a-lhorizon/

    5 choses à savoir sur Jean-Michel Blanc

    Le voyage, une parenthèse à son quotidien

    Si l’on reprend l'histoire des voyages et des vacances que retrace le sociologue Jean Viard, dans « l’an zéro du tourisme », publié en pleine crise sanitaire, les origines du voyage depuis plusieurs siècles sont multiples. Tout d’abord, le tourisme est né par les aristocrates britanniques motivés par le commerce, puis la recherche du bien-être et de la santé au 19e siècle. Ensuite, l'exploration des plages et des paysages, mises en valeur par les illustrations des artistes peintres et des photographes s’est répandue à une tranche plus large de la population.

    L’époque des congés payés a ensuite ouvert la voie à de nouveaux temps libres avec ce que Jean Viard appelle le temps de la transhumance estivale.

    Le voyage est duel. D’un côté, nous avons le voyage qui a conservé un côté initiatique et de l’autre, le temps des vacances, de la transhumance estivale.

    Les 60% des Français qui partent en vacances, le font pour la plupart l'été. Sur ces 60%, la moitié seulement part plusieurs fois par an. Nombreux sont ceux qui vont toujours au même endroit par habitude, parce qu’ils possèdent une maison familiale, une résidence secondaire, se fidélisent à un camping… un lieu dans lequel ils se sentent en sécurité.

    Il faut aussi rappeler que 40% des Français ne partent pas. Et 30% ne partent qu’une fois dans l’année. Pour Remi Knafou, le voyage est une « récréation du corps et de l'esprit ».

    Cette expression est très convaincante mais elle aussi tellement éloignée d'autres interprétations plus intellectualisées comme l’exploration de nouvelles cultures, réservée à une minorité qui peut accéder à ce type de voyage.

    Jean-Michel Blanc partage la vision de Saskia Cousin, l'anthropologue et sociologue pour qui le voyage permet de quitter son quotidien, c'est une nécessité vitale, devenue avec la crise sanitaire, une respiration indispensable. En ce sens, il a également des vertus pour l’équilibre individuel, et de fait, peut contribuer à préserver un équilibre social.

    « Le voyage permet de quitter son quotidien, c'est une nécessité vitale, devenue avec la crise sanitaire, une respiration indispensable »

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    Notre société hyper urbanisée et nos modes de vie centrés sur l'individu laissent peu l'occasion de maintenir du lien social. La crise sanitaire a accentué les aspirations légitimes à sortir de l'environnement quotidien ou à changer d'horizon pour ceux qui ont la chance de pouvoir le faire.

    « Pour certains, il s'agira d'explorer le monde en allant cocher les cases des sites instagrammables avec une dimension de valorisation sociale indéniable et pour d'autres, il s'agira de se réfugier sur une plage, chez des parents, chez des amis, retrouver du lien social, une zone de farniente bien méritée. »

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    Le terme de farniente est peu utilisé quand on parle de sociologie du tourisme, alors que c'est quand même l’un des principaux points d'entrée : ne rien faire.

    Le slow touriste, n’est-ce pas avant tout celui qui posait sa serviette sur la plage et qui ouvrait un livre au siècle dernier.

    L’approche de Maslow avec sa pyramide des besoins, même si elle est controversée, est tout à fait adaptée à explorer l'univers des vacances.
    On peut voir se dessiner les modifications de la société et les comportements des individus en parcourant cette pyramide.

    Demain, le voyage

    On peut se projeter dans un horizon de plus en plus incertain et selon les scénarios envisagés, considérer que la demande dominante sera à l'avenir prioritairement centrée sur la réponse à un besoin physiologique de ressourcement, de repos, de détente, de sécurité, de sérénité. On peut aussi s’attendre à une demande croissante qui aspirera à l'accomplissement de soi, aux besoins d'estime, au besoin de reconnaissance via Instagram.

    « On peut supposer que l'on assistera à une polarisation accrue des pratiques, des aspirations en fonction des moyens disponibles pour voyager. »

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    L’accès aux vacances, grande cause nationale de santé publique ?

    L'incroyable crise sanitaire a pour la première fois dans l'histoire de l'humanité verrouillé tous les pays de la planète sur une séquence de 2 ans et a stoppé nette les déplacements internationaux et les voyages.

    Cet épisode conjoncturel inouï a marqué profondément les consciences. Il a été un révélateur magistral des défaillances de notre société. Des pays emblématiques ont réalisé leur fragilité face à la dépendance, parfois l'hyper dépendance de leur économie, à une mono-activité comme parfois le tourisme.

    Le tourisme domestique métropolitain a plutôt bien résisté au choc. Dès que les confinements étaient levés, le besoin de quitter son environnement quotidien est apparu comme une nécessité vitale, une respiration indispensable.

    « Ce choc de la crise sanitaire, devrait conduire à considérer l'accès aux vacances pour tous comme une grande cause nationale de santé publique et d’intérêt général pour la société dans son ensemble. »

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    Le numérique, l’aérien et le changement climatique : 3 facteurs qui ont impacté le tourisme

    Dans les années 2000, trois évolutions structurantes ont impacté fortement le tourisme et continuent de structurer le secteur. La première concerne la vague submersion du numérique avec plus récemment le déploiement de l'intelligence artificielle qui a transformé l’industrie touristique. En lien avec la montée du numérique, la prise de pouvoir des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et des autres opérateurs spécialisées dans le monde du voyage, les BETH (Booking, Expedia, Tripadvisor, Hôtel.com), a modifié profondément le monde du tourisme pour lequel ils sont devenus incontournables.

    La seconde évolution majeure concerne la mutation progressive du monde du transport avec un système international discutable qui a fait la part belle à l'explosion de l'aérien, accentuée par un modèle indigent des compagnies low cost avec, parfois, la duplicité de l'argent public (notamment l'absence de taxes sur le kérosène, les subventions,…). Dans le même temps, le modèle ferroviaire français était mis en difficulté par une politique ferroviaire inadaptée aux enjeux du changement climatique.

    On rêve d’une marche vers la neutralité climatique qui devrait s’incarner autrement telles que l'on peut le voir dans les productions de prospective de l'ADEME, de RTE, dans les travaux du Shift Project, dans les écrits de tout acteur qui fait de la prospective tel que Christian De Perthuis, fondateur de la chaire économie du climat…

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    « Nous sommes dans l'absolue nécessité de resserrer les contraintes pour éviter d'envoyer toujours plus de gaz à effet de serre avec tous les effets sur le climat et les écosystèmes. »

    Enfin, la troisième évolution concerne la perception de plus en plus nette des effets du changement climatique au niveau des entreprises. On voit progresser à des niveaux très divers, des mutations plus ou moins volontaires avec des comportements un peu plus vertueux, stimulés par des démarches RSE, un développement de labels de premières contraintes environnementales encore timide mais qui se multiplient.

    Du côté des citoyens, on enregistre des mouvements mobilisés contre l'avion. Plusieurs enquêtes convergent pour faire apparaître une prise de conscience et de bonnes intentions déclarées qui pourraient devenir des choix de consommation, mais qui restent encore du déclaratif.

    Faire évoluer les mentalités pour s’inscrire dans le contexte d’incertitude

    Se dessinent des contraintes économiques fortes qui vont arriver en rebond de l'effet COVID et de la multiplication des crises internationales. On risque de subir des conséquences économiques en cascade. Les nouveaux risques géopolitiques à leur paroxysme et le prix à payer de l’inaction climatique, de plus en plus élevé chaque année, sans exclure le retour de nouveaux risques sanitaires tout à fait vraisemblables, sont autant de menaces qui accentuent les incertitudes.

    Parmi les évolutions possibles, on peut évoquer un risque significatif de dislocation sociale avec un accroissement des inégalités qui verraient une part croissante de la population ne plus avoir les moyens de partir (coût du transport, de l’énergie, des hébergements touristiques, des loisirs, de la restauration) ne serait-ce qu’une fois en vacances hors du cadre quotidien, tandis qu’une part minoritaire multiplierait les expériences de voyages.

    La question des ressources pour l’activité touristique est aussi essentielle. Aujourd’hui, les modifications engendrées par le changement climatique (sécheresses chroniques en France, guerre de l’eau, coût d’accès à la neige, …), et la pression de la demande sur les matériaux nécessaires aux réponses technologiques devraient contraindre à adopter des comportements de sobriété plus ou moins volontaires.

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    « Quand on positionne bout à bout toutes les problématiques y compris la question des ressources, on comprend vite que plus on reporte les décisions majeures, plus celles-ci seront douloureuses à prendre, et couteuses, notamment socialement. »

    Les avancées technologiques posent question sur différents aspects. L’un des plus insidieux est la question du droit, celui de la préservation des libertés individuelles et de la maitrise des outils qui nous envahissent en nous offrant des services auquel il est toujours difficile de résister. La question des ressources nécessaires ou encore des questions névralgiques de sécurité ne sont pas négligeables.

    Il est dangereux de croire que le technosolutionnisme résoudra tous les problèmes. Imaginons qu’un scientifique génial, un ingénieur en magie noire découvre une nouvelle technologie pour faire voler les avions avec une source d’énergie révolutionnaire. Ces nouveaux avions ne seront pas en capacité de se substituer à la flotte actuelle avant des décennies, hormis pour des engins légers à faible capacité sur courte distance.

    Les risques climatiques sont déjà présents et vont s’accentuer. Une prise de conscience croissante devrait s’imposer lorsque les acteurs économiques (et financiers) feront la balance entre les primes d’assurance croissantes, le coût des réparations liées à l’inaction, avec les nécessaires investissements d’adaptation et d’atténuation. Ainsi, les contraintes climatiques devraient imposer des changements de règles internationales, tôt ou tard.

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    « La vraie solution est clairement mentionnée dans les rapports de RTE ou de l’ADEME c’est la sobriété qui s’impose dans la plupart des scénarios les plus réalistes. Le défi, le vrai débat de société qu’il faut mettre sur la table, c’est comment refonder une société de la sobriété désirée et non subie, et comment envisager une planification de long terme pour orchestrer l’ensemble des transitions. »

    A l’échelle des comportements individuels, on peut citer le collectif Itinéraire Bis, ce collectif de journalistes qui tentent de donner envie de découvrir le monde européen, les cultures différentes, le monde proche, en prenant son temps.

    « Il faut intégrer d'autres logiques de déplacement. »

    Des signes positifs, la pratique du vélo

    Sur l'Hexagone, on constate de plus en plus d'appétit pour la pratique du vélo. Les jeunes familles sont un peu plus dans cet esprit des mobilités douces, une tendance encore plus marquée pour les CSP+ qui partent plusieurs fois dans l’année.

    Ceux qui ne partent qu’une fois, privilégient en général la mer et le soleil garanti. Ce sont ceux que l’on stigmatise en parlant du tourisme de masse avec l’absolu nécessité de convertir ce tourisme de masse à une forme spécifique de tourisme durable dans une interprétation très restrictive d’écotourisme, en voulant par exemple diffuser cette masse sur le territoire. Il est pourtant bien plus facile d'administrer des transports, notamment, ou encore des collectes de déchets, sur des zones de concentration de populations, plutôt que de d’inciter des millions de Français à se répartir sur des territoires qui ne sont pas organisés pour accueillir autant de visiteurs occasionnels dans une nature préservée.

    Le dernier tiers concerne ceux qui partent plusieurs fois et qui font vivre l'économie touristique en dehors de la saison d'été, ceux qui vont au ski, ceux qui partent au printemps, ceux qui partent à l'automne. Ce sont des seniors, les jeunes cadres, ceux qui n’ont pas de contraintes scolaires… Cette partie de la population est un peu plus sensible à l’écologie, davantage tournée vers des mobilités douces, curieux d’exploration des territoires, villes et campagnes.

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    Transformer nos ambitions touristiques

    Il faut de toute urgence réviser les critères de performance en matière de fréquentation.

    Viser 100 millions de visiteurs étrangers n’a aucun sens. Une première place dans un classement en nombre d’arrivées internationales pour un pays carrefour n’a aucun sens non plus. Les priorités devraient être établies sur des critères d’une autre nature. S’agissant des visiteurs étrangers, on peut considérer leur contribution à la balance des paiements, mais en mettant en regard l’impact carbone. Cette approche conduit à viser la conquête et la fidélisation des clientèles européennes, bonus pour les ferroviaires, et double bonus pour la prolongation des durées de séjour.

    L’objectif est d’avoir un tourisme social, qui assimile. Mais ne doit-on pas également intégrer toutes les dimensions sociales d’un tourisme réparateur pour les clientèles domestiques, et donc viser une amélioration sensible du taux de départ des Français ? Dans cette optique, l’objectif est de viser les clientèles de proximité et non les clientèles longs courriers qu’il faut se diriger vers un tourisme européen. Globalement, il faut travailler la proximité, c’est une nécessité.

    Et quand on parle de proximité, il s’agit de la région, de ses périphéries, mais également de l’Europe.

    « L’Europe ferroviaire, je l'appelle de mes vœux. »

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    Il faut aussi faire partir plus de monde en vacances.

    « Une conviction est qu’il est absolument indispensable que 80% des Français partent en vacances, sortent de leur quotidien sans forcément aller très loin. »

    Le tourisme, ça commence quand on met la clé dans la serrure et ce n’est pas forcément loin. En effet, ça peut être à 40 kilomètres de chez soi, dans des conditions d'hébergement très sobres, éventuellement avec des offres d’entrée de gamme mais de qualité irréprochable. Il faut faire découvrir aux voyageurs le sens de la fête, le sens de la relation à des hôtes ou d’autres voyageurs qui ne leur ressemblent pas du tout, ou leur faire découvrir l'histoire de France, ses multiples ressources artisanales et savoir-faire ancestraux …

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    « Le tourisme est un facteur de paix et d’ouverture. »

    Le voyage immobile, ce n’est pas du voyage, même si les expériences immersives sont incroyables. Quelques expériences personnelles à Paris confortent sur le caractère frustrant pour un voyageur qui apprécie la rencontre avec les locaux. Admettons que ces nouvelles options immersives sont davantage des supports de promotion des destinations plutôt que d’hypothétiques réponses de substitution au véritable voyage. Le voyage ce sont les rencontres, des amitiés créées…

    « Le sens du voyage, c'est la rencontre avec des habitants qui sont dans une autre culture. »

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    Le tourisme souhaitable en 2050

    Considérant qu’une partie significative des risques géopolitiques, climatiques, de ressources, technologiques, économiques et politiques, sociaux devraient se mettre en place irrémédiablement et progressivement, se projeter vers un tourisme idéal en 2050 conduit à s’adapter à un monde fondamentalement différent du monde actuel.

    Le tourisme souhaitable en 2050 est un tourisme qui, plus que jamais, doit véritablement devenir accessible à tous, et en particulier aux plus jeunes, permettant de s’évader du quotidien, de créer du lien social, de s’enrichir de rencontres, de se ressourcer, et de découvrir des traditions culinaires et festives, à travers l’Europe en utilisant des solutions de mobilité décarbonées.

    En 2050, la technologie devrait permettre d’organiser l’essentiel du voyage, depuis le pas de sa porte jusqu’à celui du lieu de résidence, avec des solutions de transport révolutionnaires et décarbonées, accessibles dans tous les sens du terme, proposés à coûts réduits (service public du transport collectif) et organisant parfaitement les intermodalités du voyage, y compris avec des séquences de partage entre voyageurs. En 2050, il faudra anticiper son voyage pour réserver son créneau d’accès à la plupart des sites d’intérêt. Le développement de métiers de l’accueil et de médiation dans la plupart des sites touristiques et des espaces naturels préservés viendra en appoint des recommandations numériques établis par les algorithmes.

    L’offre d’hébergements est majoritairement organisée pour favoriser les mobilités douces ou le transport collectif décarboné. Ce sont donc des pôles de séjours, stations villages qui redonnent vie à des villages ruraux autour des propositions de bien-être ou qui organisent les stations touristiques de montagne et du littoral autour de lieux de résidence alternée pour les télétravailleurs et lieu de villégiature pour les familles ou les seniors.

    Les offres d’hébergement diffuses sont majoritairement devenues des équipements très haut-de-gamme.

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    Petit portrait chinois

    Si vous étiez un voyage en 2024 ? L’Asie du Sud Est privilégiant le train sur place.

    Si vous étiez un voyage en 2050 ? L’Europe en train.

    Si vous étiez une maxime : « Dépense sans conscience n’est que ruine de l’Homme »


    Interview réalisée par Séverine PORTET dans le cadre de Tendances & Prospective

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